Exposition Jossot :
1er mars 2011-2 juillet 2011
Diaporama
Le Livre
Revue de presse

affiche de l'exposition Jossot, bibliothèque Forney
glass fleche fleche

LE LIVRE

Couverture du livre, Jossot, caricature, de la révolte à la fuite en Orient

Jossot, caricatures, de la révolte à la fuite en Orient,
Michel Dixmier, Henri Viltard, préface de Cabu

« Toujours cette interdiction (idiote) de photographier dans un musée (dans le cas présent, une bibliothèque), toujours ces catalogues d'expositions fort chers et intéressants que pour ceux qui les conçoivent (car on les feuillette une fois et on les dépose inévitablement dans un coin de la bibliothèque...) », a-t-on pu lire sous le clavier d'une blogueuse mal lunée...

Cette saillie colérique résume pas mal de préjugés encore vivaces. En premier lieu, l'ère des « catalogues » strictement liés à l'événement, qui se plaisent à lister les oeuvres exposées en rapportant une foule de détails techniques, a quasiment disparu du paysage éditorial. Autant le dire franchement : ce livre n'a rien d'un catalogue. Certes, la rétrospective porte le même titre, mais seul l'éditeur et son service de communication en sont responsables... Conçu comme un ouvrage autonome accompagnant l'exposition, il se permet parfois de présenter des oeuvres qui ne figurent pas sur les cymaises...

Ce volume s'adresse au grand public, par le texte comme par l'image, ce qui ne l'empêche pas de s'appuyer sur de solides recherches universitaires. En cassant votre tire-lire pour vous procurer « le Jossot » – c'est le seul livre sur le sujet –, vous n'encombrerez pas votre bibliothèque d'un énième catalogue grisâtre. Non, c'est une révolution que vous apportez dans vos rayonnages, car chaque page est un cri de révolte, une enluminure grinçante, un rictus sardonique défiant vos manuels de bonne conduite, vos Bibles et vos Corans, mais aussi vos abrégés en rébellion et vos bréviaires d'impertinence. La caricature de Jossot n'est pas seulement faite pour rire, mais pour penser. Bien que l'artiste revendique une certaine intellectualité, ses dessins parlent de nous et son langage est toujours le nôtre, simple et universel. Tant qu'il se trouvera des curés, des bourgeois, des juges, des militaires ou simplement des bien-pensants (et il se peut que cela dure encore un peu !...), votre album ne moisira pas sur son étagère...

cul de lampe par Jossot façon masque

Jossot ne se résume pas à cela et voici pourquoi il a fallu cinq petits chapitres pour décrire son itinéraire biographique et son parcours artistique, inextricablement liés l'un à l'autre. Chaque partie est émaillée d'images en couleur – dont il faut louer la qualité digne de l'exigence d'un Schwarz, l'éditeur de l'Assiette au beurre, – et séparée des autres par un cahier de reproductions. Tout cela donne au volume, très soigneusement mis en page, l'aspect récréatif d'un album : il y a à lire, à voir, à rire et à méditer. « Fort cher », disiez-vous ? Mais essayez donc d'imaginer (et de vendre !) un livre de poche sur Jossot avec une trentaine d'images en noir et blanc, format timbre-poste... !!

Un premier chapitre évoque l'enfance dijonnaise du dessinateur, son milieu familial, ses débuts maladroits dans la presse humoristique jusqu'en 1893, puis l'apparition de son premier style véritablement « jossotesque », caractérisé par des aplats de couleurs stridentes, fusionnant l'arabesque décorative aux distorsions caricaturales. Il s'agit de comprendre le contexte dans lequel est apparu ce graphisme frappant de modernité, mais aussi la manière dont il s'élabore : le rapport parodique de Jossot aux maîtres symbolistes et aux Nabis, son ancrage dans l'Art Nouveau qui le mène à considérer la caricature comme un art décoratif à part entière. Les déformations grotesques ne restent plus cantonnées aux pages des illustrés, elles ornent des salles de jeux, des objets, et s'invitent même sur les toiles des salons « sérieux ». Dans cet art satirique appliqué, les affiches immenses pour l'imprimeur Camis restent les plus étonnantes. La laideur prend des proportions colossales et ne sert plus seulement de repoussoir. Selon une esthétique délibérément expressionniste elle cherche à hypnotiser le passant.

La seconde partie de l'ouvrage aborde le côté politique et pamphlétaire de l'artiste. À partir de 1896, – date à laquelle il perd sa fille –, sa manière change et ses idées se radicalisent. C'est l'époque de l'Assiette au beurre, journal affichant ses prétentions artistiques et subversives. Ses dessins, tout en aplats vermillons écrasés d'un cerne épais, prennent une tonalité cynique pour s'attaquer aux institutions : justice, religion, armée ou police, s'entendent pour conditionner les individus et parfaire une société inégalitaire dont la figure de proue est le bourgeois. Anarchiste, Jossot l'est sans doute devenu à sa manière...

Mais ceci mène au troisième chapitre où l'on examine le terreau intellectuel du caricaturiste : la philosophie individualiste, héritée du stoïcisme et du cynisme antiques. Dès 1904, Jossot est abonné à l'Ennemi du peuple et c'est avec cette sensibilité anarcho-individualiste que ses charges stigmatisent désormais la bêtise du « troupeau. » Les opprimés sont méprisables parce qu'ils aspirent à dominer leurs maîtres... quand « Prolo » finit dans la peau d'un bourgeois, la question sociale devient insoluble et la révolution, inutile. Dans l'introspection méditative, chacun est en demeure d'analyser les conditionnements sociaux. C'est pourquoi Jossot dénonce inlassablement les comportements grégaires ou irréfléchis, les coutumes, les moeurs, la famille ou tout simplement la bêtise humaine. L'esprit critique dévoile si bien tous les mensonges collectifs qu'il finit par voir en l'univers une gigantesque farce. C'est peut-être la raison pour laquelle ses caricatures sondent tragiquement la condition humaine. Des squelettes sarcastiques se gaussent ainsi des passions terrestres et interrogent le néant en philosophant paradoxalement sur les vanités intellectuelles...

cul de lampe par Jossot en forme de poulpe

Jossot a trouvé en Tunisie le moyen de fuir cet univers terrifiant de la déformation grotesque. La quatrième partie du livre restitue le contexte polémique de sa conversion à l'islam et évalue son oeuvre orientaliste. En rupture avec les valeurs occidentales, le peintre rêve un Orient idéal, chimère toujours menacée par les réalités coloniales… qui sont finalement croquées dans d'étonnantes aquarelles satiriques ! Les paysages à l'encre de Chine offrent enfin une version apaisée de son cerne, que l'on pourrait croire en phase avec la sagesse de son auteur acquis au soufisme.

Il ne faut pourtant pas s'y fier : non seulement Jossot n'a pas été totalement illuminé par l'islam, mais il n'a rien perdu de sa hargne. Ce cinquième chapitre révèle le talent pamphlétaire d'un écrivain maniant la plume aussi férocement que le crayon, lançant dans la presse indépendantiste et pacifiste ses anathèmes contre toutes les injustices coloniales, comme ses diatribes à l'encontre des compromis culturels de ses coreligionnaires. Il lui arrive même de reprendre, comme malgré-lui, ce crayon tant de fois délaissé, pour figer une fois encore tous les « agités » en masques terrifiants. L'album s'achève sur les dernières lignes de l'artiste, écrites en 1951 dans ses mémoires : « Cesser d'être, ne plus rien voir, ne plus entendre, ne plus rien sentir ! Les hommes me foutant enfin la Paix avec le Repos Eternel par-dessus le marché! » En regard, un squelette se réveille d'un horrible cauchemar : « – J'ai rêvé que j'étais vivant !!! ».

Jossot, j'ai rêvé que j'étais vivant, Asssiette au beurre

Délicieusement ressuscité par l'exposition de la bibliothèque Forney, minutieusement exhumé dans ce livre, réincarné dans son Foetus récalcitrant publié aux éditions Finitude, gageons que ce râleur invétéré vit en 2011 les pires heures de son éternité!

Couverture du Foetus récalcitrant, éd. Finitude, 2011

Revue de presse

En direct sur France-Culture...

Canard enchaîné...

article du canard enchainé sur le livre d'Henri Viltard et Michel Dixmier

Fluide Glacial : T'ar ta lacrèm'...

article de Fuide glacial sur l'exposition Jossot
article de Libération sur l'exposition Jossot

Libération : satire là ou ça fait mal...

Le Monde : Génie du monstrueux...

Mediapart : Jossot l'insurgé...

dessin de l'Hotel de Sens

L'Hôtel de Sens a été construit entre 1475 et 1519 sur ordre de l'archevêque de Sens. L'évêché de Paris en était alors dépendant. Quand Paris eut son propre archevêché, l'hôtel servit de résidence à des particuliers et abrita divers commerces et fabriques jusqu'en 1911. C'est à cette date que la Ville de Paris en fit l'acquisition, mais il faut attendre 1961 pour voir la bibliothèque léguée par Aimé Samuel Forney s'y installer. D'abord située au 12 de la rue Titon, dans le quartier Saint-Antoine, elle s'adressait avant tout aux artisans d'art, dans le souci, partagé à la même époque par l'Union Centrale des Arts Décoratifs, de promouvoir et de renouveler le savoir-faire français en matière d'art appliqué. Depuis plus de quinze ans, la bibliothèque organise régulièrement des expositions destinées à mettre ses fonds en valeur. Or cette institution est riche en affiches publicitaires, mais aussi en journaux d'humour. Parmi les dessinateurs-affichistes de l'Assiette au beurre qui ont déjà eu l'honneur de ses cimaises, on compte notamment Paul Iribe et, dernièrement, Francisque Poulbot. En accueillant Jossot, l'Hôtel de Sens répond a posteriori à son désir qui était de faire de la caricature appliquée. De plus, quel meilleur endroit pour rendre hommage à un artiste qui proclamait son admiration pour l'art médiéval ?

Ouverture du mardi au samedi, de 13h à 19h

plan pour trouver la bibliothèque Forney

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