Sauvages Blancs !
par Jossot
éd. Finitude, 2013

Couverture de Sauvages blancs par Jossot présenté par Henri Viltard

Après Le Foetus récalcitrant publié en 2011, les éditions Finitude s'intéressent à un recueil d'articles publiés par Jossot dans la presse tunisienne, entre 1911 et 1945. Ces chroniques prennent la suite de ses caricatures et en sont complètement imprégnées... le lecteur y retrouvera le même humour, la même détermination à dénoncer les comportements grégaires de ses contemporains, la même scélérité à fustiger les abus de pouvoir et les logiques économiques qui mènent l'homme à sa perte... Un beau volume de pamphlets sortira du chaudron le 15 mars 2013 et peut-être un second en 2014 !

Logo Finitude

Les Humoristes nous font rire (extrait)

Le caricaturiste est, avant tout, un irrespectueux : il crache sur tout ce que les croyants révèrent ; c’est un révolté, oui certes ; c’est même un révolutionnaire, mais pas dans le sens vulgaire du mot : il ne se bat qu’à coup d’idées, sachant bien que les coups de fusil ne font pas avancer l’Evolution.

A la cathédrale de Tunis (extrait)

Bon Dieu ! que cette cathédrale est donc laide ! ça, la demeure du Trop-Haut ? Jamais de la vie ! Une grange, une salle de réunion publique, tout ce qu’on veut excepté la maison de la prière. Comment se recueillir dans ce hangar où la lumière pénètre avec une crudité aveuglante, éclairant les moindres coins, chassant le mystère ?

Il est vrai que les fidèles ne viennent pas là pour s’épandre en Dieu : ils ont pour la plupart une foi banale, une foi mesquine qui se contente de petites pratiques, de petites dévotions, une foi anémiée, chlorotique.

Ils esquissent, en entrant, un signe de croix rapide et honteux, presque imperceptible : pendant quelques secondes, ils inclinent languissamment la tête sur leur épaule, puis la redressent et envoient des sourires, des saluts et des signes discrets à leurs connaissances.

C’est la foi bourgeoise, la foi machinale, héréditaire. Ah ! combien peu, parmi ces croyants, sont rongés du désir de Dieu ! Qu’ils sont rares ceux qui clament vers l’Idéal, les embrasés qui voudraient violer le Ciel ! (Violenti rapiunt illud).

Assiette au beurre, n°302

Qu’avez-vous fait de cet art religieux dont vous étiez dépositaires ? Où sont vos ordonnateurs de cérémonies ? Et vos organistes ? Pourquoi avez-vous remplacé le plain-chant sublime, le chant grégorien, par des flons-flons [sic] et des gargouillades ? Et vos peintres mystiques, vos imagiers, vos enlumineurs, vos verriers, que sont-ils devenus ? Et vos grands tailleurs d’images du Moyen Age ?...

En accueillant l’art de la rue Bonaparte, vous rendez un culte au Très-Bas, car si le Beau est l’une des faces de Dieu, le Laid est un des aspects de Satan.

Pourquoi faut-il vous rappeler à l’observance de vos traditions artistiques ? Ah ! C’est que, sans vous en douter, vous subissez l’influence du siècle. Beaucoup d’entre vous sont devenus rationalistes, utilitaires, et considèrent l’Art comme une superficialité.

Ils ne se doutent pas ces incompréhensifs, que c’est grâce aux charmes magiques de l’Art que les foules étaient captivées, subjuguées, envoûtées. C’est l’Art qui faisait sangloter le croyant aux pieds du Calvaire, qui le jetait dans l’allégresse devant la Crèche, le plongeait dans l’extase à l’aspect des cieux entr’ouverts. L’Art c’était votre meilleur moyen de propagande. Et maintenant, vous en faites fi ; vous le rejetez comme un vêtement trop usagé. Quelle mentalité est donc la vôtre ? Et vous avez la prétention d’aiguiller les âmes vers l’Idéal ! Vous voulez les arracher à la matière ? Mais vous y êtes vous-mêmes embourbés.

Et vous vous étonnez que la Foi diminue ; vous ne voyez donc pas que la religion se meurt faute d’art ? C’est vous qui l’étranglez de vos propres mains.

Et si je m’insurge contre vous, moi le mécréant, c’est que j’en ai le droit : vous m’empêchez d’aller à Dieu.

couverture de l'Assiette au beurre, Le respect

Pas Sérieux ! (extrait)

J’éprouve quelque fierté à m’entendre traiter de fou par ces mollusques incapables d’une loufoquerie : ils croient que c’est arrivé, agissent toujours gravement et ne s’amusent que des plaisanteries permises.

Moi, je me moque de tout : tout me paraît risible.

Comme le « Peter Schlemil » de Chamisso, « je parle sérieusement de choses futiles et futilement de choses sérieuses »

Je suis un irrespectueux.

Qu’est-ce, après tout, le respect ? Une invention humaine.

Les hommes, mes semblables, grotesques fantoches, n’ont pu imaginer que du burlesque. Je ne me prosterne donc pas plus devant leurs conventions que devant eux, pas plus devant eux que devant moi.

Ah ! Mes frères ! En avez-vous du culot de chercher à vous épater les uns les autres ! Vous ne vous êtes donc jamais contemplés dans une glace ? Chaque fois que je me regarde je m’éclate de rire au nez et quand, avec mon œil interne, je considère mon âme, ma jolie petite âme toute nue, alors c’est une rigolade inextinguible. Jamais je ne pourrai me prendre au sérieux ; mais jamais non plus vous ne m’en imposerez, messieurs mes congénères. Pour cela, faudrait vraiment vous lever matin !

Vous aurez beau vous couvrir de passementeries, vous décerner des titres, exhiber vos richesses. Quand bien même vos derrières seraient cousus d’or, je n’en continuerais pas moins à me payer vos physionomies.

Qu’avez-vous donc plus que moi pour que je vous révère ? Tout comme moi vous êtes des squelettes recouverts de peau, et si vous n’aviez pas fabriqué des vêtements pour cacher cette peau, il y en a beaucoup parmi vous qui ne paraîtraient pas jolis, jolis.

couverture de l'Assiette au beurre, Les Refroidis

La conversion de Jossot (extrait)

Photographie de Jossot en turban après sa conversion à l'islam

Ce n’est pas pour avoir droit à quatre épouses légitimes et à un nombre illimité de concubines que je me suis fait musulman : à mon âge, on se contente aisément de la monogamie.

Quand je suis sorti du néant où je me trouvais si bien, on m’a bombardé catholique romain et citoyen français sans me demander mon consentement. Je reconnais qu’il est impossible d’interviewer un fœtus sur ses convictions politiques et religieuses ; mais on pourrait attendre que ledit fœtus ait de la barbe.

La mienne s’étant mise à blanchir, je me suis conféré le droit de choisir ma foi et ma patrie : j’ai opté pour la religion musulmane qui est aussi une nationalité.

L’islamisme sans mystère, sans dogme, sans clergé, presque sans culte, est de toutes les religions la plus rationnelle ; aussi l’ai-je adoptée, estimant que la créature n’a pas besoin de passer par l’intermédiaire des prêtres pour adorer son Créateur.

Théâtre arabe (extrait)

Pourquoi ne pas s’abstraire des coutumes admises par l’Occident en matière scénique ? Pourquoi ne pas construire, par exemple, une vaste rotonde munie de gradins, un amphithéâtre dans toute l’acception étymologique du mot ? Au centre, un kiosque élevé : c’est la scène. Les coulisses en dessous. Pourquoi pas ? Puisque tout est conventionnel au théâtre, n’est-il pas insane de prétendre y restituer le réel ? En littérature comme en peinture, le réalisme absolu n’est pas de l’Art.

On vient au spectacle pour goûter le charme de la diction et les gestes harmonieux, non pour admirer les décors plus ou moins habilement brossés par de quelconques barbouilleurs. On y vient pour s’échapper de la marmelade quotidienne, pour se délecter de visions et d’auditions autres que les coutumières. Il faut donc rechercher, avant tout, l’Irréel, se lancer à cerveau perdu dans l’Imaginaire.

Et n’est-ce pas une tâche digne de la race orientale, où tout le monde est poète, que d’innover des divertissements inédits, des féeries illusoires dans lesquelles évolueraient et palabreraient des personnages paradoxaux nés des cogitations artistes.

Impressions de l'Extrême Sud (extrait)

Une fausse note, éclatant au milieu d’une symphonie, déchire l’oreille du musicien, le blesse comme s’il recevait un coup de couteau en plein cœur. Il en est de même pour le peintre quand son œil est choqué par l’aspect d’un individu ou d’un objet disparate dans un paysage harmonieux.

Jugez de ce que j’éprouvais à la vue de ces quatre monstres étalant leur laideur en un pays de rêve, mouvant leur horreur en l’ambiance empourprée par l’agonie sanglante du soleil.

Sous d’inimaginables coiffures grimaçaient leurs « cauchemardants » visages meublés de lunettes bleues et de dents effroyables. Et ces gueules apocalyptiques étaient perchées sur des corps longs et secs dont les membres articulés gesticulaient automatiquement.

Elles entrèrent à l’auberge, s’installèrent dans leurs chambres et se firent servir du thé. Puis elles tirèrent des Bibles de leurs valises et les lurent durant les deux jours qu’elles passèrent à Nefta, sans daigner, une seule fois, jeter les yeux sur le paysage.

Un mot de l’une d’elles me fut rapporté : certain détail de leur caravane n’étant pas prêt, on les prévint qu’elles auraient à subir une journée de retard :
– Encore un jour ici !...

Oui, ces gargouilles trouvaient le moyen de s’ennuyer en un tel pays ! Qu’y venaient-elles faire ? Rien : elles y passaient comme elles avaient passé ailleurs, simplement afin de pouvoir dire en réintégrant la pluie et la suie de leur patrie : « Nous fûmes ici et puis là ».

Réponse à l'Epître du "touriste" (extrait)

Mais, hélas ! les agités d’Occident ont inventé le travail qui, de toutes les choses imaginées par les hommes, est bien la plus insipide et la plus odieuse. Ayant pour eux le nombre et la force, ils imposent leur sale invention aux Orientaux dont le calme les irrite ; ils les traitent d’inutiles et de paresseux. Ces bagnards de la civilisation voudraient qu’ils soient condamnés, comme eux, au travail forcé. Avec la courte vue de leurs pays brumeux, de leur triste pays noir et froid où l’on est obligé de remuer pour se réchauffer, ils en sont venus à considérer la sainte flemme comme une maladie honteuse, une sorte de lâcheté morale et physique.

Pourtant, nul ne leur conteste le droit au labeur ; ils pourraient bien reconnaître le droit à la paresse et constater qu’un homme au repos est tout aussi intéressant et aussi beau qu’un homme en pleine activité. Les « roumis » peuvent bien défoncer le sol, le labourer, l’irriguer, le cultiver l’ensemencer, récolter tout ce qu’il produit et recommencer ; ils peuvent fonder des écoles laïques, gratuites et obligatoires, créer des ateliers, construire des usines, tracer des voies ferrées et des routes, édifier des ponts et aqueducs, des entrepôts et des docks, creuser des mines, des tunnels, des canaux et des ports, fonder des établissements commerciaux et de banques ; ils peuvent discuter, se disputer, agioter, se remuer et s’essouffler, se battre et se tuer ; ils peuvent faire tout cela et bien d’autres choses sans que les vrais croyants daignent seulement soulever les paupières pour leur prêter un simulacre d’attention, car ceux-ci connaissent la brièveté de la vie et savent que, seules la prière et la méditation sont dignes d’occuper le cœur et l’esprit, sans bouger, ils atteindront le terme de leur existence tout aussi bien que les agités d’Occident.

Dans le tombeau, les « roumis » seront bien obligés de se reposer et de reconnaître la sagesse des « meslemines »....

Le Progrès ?... Ah ! Laissez-moi rire ! Vous y croyez, vous, monsieur, au Progrès ? Moi je ne trouve pas que les idées aient beaucoup avancé depuis les Grecs : les portefaix contemporains de Socrate ou d’Épictète, n’étaient pas plus bernés que nos actuels « prolétaires conscients » et le suffrage universel nous donne un aperçu de ce que pouvaient être les Ilotes.

Macaze-Duthiers, Mauer, 1937

Le Progrès, s’il existait, ne consisterait pas à améliorer le machinisme qui réduit tant d’ouvriers à la misère, non plus à perfectionner les engins destructeurs, ou à frelater, par des procédés chimiques, nos aliments et nos boissons.

Le Progrès, ce serait l’évolution de la pensée humaine ; or je viens de vous dire que depuis deux mille ans...

Pitié pour elles ! La question du voile (extrait)

Beaucoup d’indigènes, même parmi les « enturbannés », consentiraient à laisser sortir leurs femmes s’ils ne redoutaient pour elles les périls de la rue. Hélas, il faut bien le dire : si les femmes arabes ne sont pas mûres pour la liberté, bon nombre d’hommes sont encore à l’état sauvage et se conduisent comme de véritables brutes. Je ne parle pas seulement des « zoufris » : il y a des Arabes bien mis qui ne peuvent pas passer à côté de leurs sœurs musulmanes sans leur murmurer des obscénités. Et ceux-là ont des mères, des filles, qu’ils emprisonnent parce qu’ils jugent tous leurs congénères d’après eux-mêmes et qu’ils redoutent pour celles qu’ils aiment les avanies dont ils accablent les femmes de leur prochain.

Le jour où les musulmanes sortiront seules, ce jour-là, il faudra une police spéciale pour les protéger contre les audacieuses entreprises des goujats.

Mais, dès maintenant, elles peuvent se promener accompagnées. Aucun verset du Koran ne le leur interdit et je mets au défi qui que ce soit de me prouver le contraire : ce n’est pas une règle religieuse qui les retient prisonnières : c’est la jalousie imbécile et féroce de leurs maîtres.

Assiette au beurre, n° 341

Pitié pour elles ! Réponse à Chemsedine, (extrait)

Car Mohammed (Salalah ou ali ou asselem) nous a toujours recommandé d’être doux et empressés auprès de nos épouses, de les cajoler, de les choyer, de leur rendre la vie aussi agréable que possible.

S’il revenait sur terre et qu’il constatait la façon honteuse dont on les traite, lui qui a flétri la jalousie non motivée, il bondirait d’indignation.

De son vivant, les femmes sortaient librement. Quand une jeune fille était demandée en mariage, on la mettait aussitôt en présence du postulant ; cette exhibition se faisait à visage découvert.

Les temps sont changés, la religion aussi, paraît-il, puisque l’on s’acharne à vouloir faire de l’emprisonnement des musulmanes une règle religieuse.

Nietzsche et eux (extrait)

Les passifs enfants de la Blonde Allemagne admirent surtout en Nietzsche la dure discipline qu’il prêcha. En croyant qu’il s’agit d’obéissance aux supérieurs hiérarchiques, ils s’aberrent de la plus grossière façon : un individualiste indiscipliné tel que Nietzsche ne pouvait préconiser qu’une discipline intellectuelle, l’inflexible loi que l’individu doit s’appliquer à soi-même.

La famille française et la famille indigène (extrait)

Admettons qu’il prenne fantaisie à un fonctionnaire arabe d’épouser une Française et de vivre à l’européenne. Cela rentre dans la catégorie des choses possibles. Voici, du coup, en ce qui le concerne, toutes vos objections entachées de nullité. Il n’y a plus aucune raison pour que cet indigène ne soit pas traité de la même façon que le Français et ne reçoive pas les mêmes appointements. On a reproché à la loi musulmane de favoriser l’homme au détriment de la femme, de lui octroyer la plus grosse part dans les héritages. Pourtant le gouvernement n’agit pas autrement vis-à-vis des fonctionnaires. Si ce traitement paraît inique quand il est appliqué d’homme à femme, pourquoi serait-il naturel d’homme à homme ? Un peu de logique, s. v. p

Les Fous (extrait)

– Oui, il y a là-bas, en ce moment, des millions de toqués qui se zigouillent sans savoir pourquoi. Ils opèrent en liberté alors que leur dangereux état mental nécessiterait le cabanon, la camisole de force et la douche.

Dans les asiles d’aliénés, il arrive parfois que les déments se rassemblent en un groupe compact : ils rient, s’affligent ou s’indignent avec un ensemble parfait ; ils n’ont plus qu’une âme unique et communient dans les mêmes extravagances. C’est la folie collective. Si le gardien en découvre un ou deux qui poursuivent isolément leurs divagations individuelles, il n’a qu’à les signaler aux autres.

Aquerelle, collection particulière

La dernière pirouette (extrait)

Vous avez chambardé la Terre ; vous l’avez enlaidie par vos inventions diaboliques : les campagnes sont maintenant sillonnées de longs reptiles qui crachent de la fumée et glissent à une allure vertigineuse sur deux lignes parallèles, lignes qui n’existent nulle part en la création et que Delacroix appelait des monstres ; dans la mer vous vous êtes adonnés à une étrange pisciculture : vous avez troublé le fond des eaux en le peuplant d’énormes poissons d’acier qui montent parfois à la surface pour respirer et qui terrorisent les navigateurs ; vous avez pollué le cobalt du ciel en y lançant de vilains oiseaux, de la famille des hélicoptères ; ils pondent sur nos têtes des œufs durs : ces œufs de fer éclatent en tombant et nous criblent de mitraille.

Le phallus monstrueux qu’est la cheminée d’usine, toujours en érection, éjacule de la suie sur les plus beaux paysages.

Non contents d’empoisonner chimiquement les corps par des boissons et des aliments frelatés, vous avez sophistiqué les âmes : en inventant le travail forcé, en vous plongeant dans l’incessante activité, en ne vous accordant plus aucun répit pour admirer les chefs-d’œuvre de l’univers, vous vous êtes éloignés du Grand Architecte : vous êtes devenus les ennemis d’Allah.

Comme des bandits vous vous êtes rués à la curée des contrées les plus lointaines ; vous vous êtes emparés de tout : il ne reste plus un coin de la Terre où l’on puisse vivre en liberté ; des peuplades paisibles ont été massacrées par vous ou réduites en servitude ; vous avez aboli la traite, mais vous n’avez pas libéré les esclaves : les « protégés » de vos colonies, vous les expédiez, comme du bétail, sur votre continent et vous les obligez à participer à vos tueries. Hypocrites ! Vous n’appelez pas cela de l’esclavage ?

Assiette au beurre, n°102-10

Au cours de vos belliqueuses randonnées en Orient (dans les Indes, en Chine, en Afrique) vous avez pratiqué le vol, le viol et le meurtre. Partout vous avez répandu l’épouvante et quand, interrompant vos zigouillades, vous daignâtes commercer avec les indigènes, ce fut pour leur vendre des denrées nocives, de l’alcool, de l’opium, ou bien pour leur inoculer vos maladies vénériennes et vos vices.

O barbares ! O roumis ! Quand je vous regarde passer, il me semble que j’assiste à un défilé de déments : vous courez à vos « affaires », absorbés par l’espoir du lucre, sans cesse agités, fiévreux, inquiets. Vos visages sont contractés par les soucis d’argent ou dilatés par des satisfactions basses. Si vos traits n’apparaissent pas anxieux et crispés, ils sont distendus par une hilarité bruyante, enluminés par les ripailles et les beuveries. Jamais de calme sur vos masques de chair ; jamais trace d’impassibilité ou de quiétude ; il est rare de rencontrer parmi vous une tête grave et majestueuse comme on en voit tant parmi les Orientaux. Rien n’illumine vos faces de damnés, aucune idée calme et reposante ne s’est incrustée en vos cerveaux surmenés par le travail. Innombrables types sans caractère, vous vous groupez en troupeaux et pullulez dans les cafés, les beuglants, les usines, les casernes et les champs de carnage. Vous vivez une existence démoniaque, hallucinatoire et frénétique, une vie hors nature qui vous rend horriblement malheureux, mais dont vous êtes fiers pourtant et que vous avez baptisée « Civilisation ».

Eh bien ! cette fausse civilisation de caraïbe va bientôt disparaître : les temps sont proches ! Déjà voici le commencement de la faim [sic].

Sauvages Blancs !

Avant d’exécuter l’ultime pirouette, boulottez-vous les uns les autres.

Opinion d'un âne (extrait)

Les sauvages d’occident sont peut-être taillés sur le modèle de leur monstrueuse idole, le Moloch insatiable, Dieu des armées, cela rentre dans la catégorie des choses possibles ; mais toi, sidi Abdou-'l-Karim, tu es musulman ; ta divinité est Allah, c'est-à-dire l’Inconnaissable. Comment peux-tu te targuer de ressembler à ce qui est sans forme ? C’est donc toi qui dis des bêtises. Crois-moi : rentre en toi-même ; fais comparaître la descendance Adamique devant le tribunal de ta conscience. Quand tu auras dépiauté tes congénères, tu rougiras d’être un homme.

Lettre ouverte à Hassan Guellaty (extrait)

Je pourrais encore vous dire que je suis infiniment plus révolté que vous sans être révolutionnaire ; j’estime que les chambardements sociaux n’ont jamais modifié que les mots sans supprimer les maux. C’est l’individu qui doit opérer la révolution en lui-même ; en portant la torche dans ses ténèbres, il s’apercevra que les écuries d’Augias sont encore encombrées d’ordures mentales, d’opinions fausses, de préjugés, et qu’elles ont besoin d’un rude coup de balai.

Si chacun de vous procédait au ramonage de son for intérieur, vous constateriez tous que la révolution sociale s’accomplit d’elle-même, qu’elle se fait toute seule, comme la queue du chat est venue sans qu’on la tire. Ce n’est donc pas dans le macrocosme visible qu’il faut agir, mais dans la région la plus invisible du microcosme, dans la pensée individuelle.

La planète sur laquelle nous végétons n’est qu’une sale boule de crottin ; or il n’y a rien à tenter sur le fumier : plus on le remue plus il pue.

Illustration pour Viande de bourgeois Illustration pour Viande de bourgeois

Les méfaits de l’instruction (extrait)

Un illettré, s’il est intelligent, pense par lui-même ; il a des idées qui sont à lui, des aspirations qui augmentent son âme, des soubresauts qui peuvent le libérer. Mais dès qu’il sait lire, il adopte les idées de ses déformateurs, cesse de penser, devient un imbécile.

Tous les citoyens s’adonnent à la lecture des journaux ; tous se contentent des idées imprimées ; aucun d’eux n’absorbe plus de pensée fraîche et, faute de cette nourriture vivifiante, l’esprit s’anémie, dépérit, n’a plus la force de s’élancer hors du fumier.

L’Homme est fait pour vivre seul (extrait)

L’Homme est fait pour vivre seul ; mais il a peur de lui-même parce qu’il s’ignore : il recherche la compagnie de ses semblables pour se fuir ; il se mêle à eux pour ne pas entendre la voix silencieuse qui parle en lui. Ses ténèbres sont si grouillantes de visions hallucinatoires qu’il se croit en sûreté parmi ses congénères ; c’est pourtant là qu’il court les plus grands périls.

Dans la solitude nous retrouvons notre compagnon intime ; à quoi bon échanger avec les Hommes de futiles propos quand il nous est donné d’écouter Sa Parole ?

La solitude est l’élément du Sage ; la brute s’y sent mal à l’aise : elle tremble au moindre froissement du silence. Et pourtant ce n’est que dans la solitude que nous pouvons opérer en nous le Grand chambardement : quand nous avons réussi à expulser de nous-mêmes les fantômes et à pulvériser les idoles ; quand nous avons démoli l’édifice de mensonges que les Hommes se transmettent pieusement de père en fils, il nous reste à construire le Temple de la Vérité et à y introniser la Paix. Pour cela il est indispensable que nous vivions dans l’isolement : si nous nous mêlons aux fauves humains, nous écopons infailliblement d’un coup de griffe par ci, d’un coup de croc par là ; nous recevons maintes blessures d’amour-propre ; à chaque instant nous sommes contristés, humiliés, meurtris ; nous ne pouvons atteindre le calme.

Les excentriques (extrait)

Assiette au beurre, Panurgisme

Eux, au contraire, ne parviennent pas à s’adapter à l’existence factice qui découle de la civilisation ; ils prétendent que le tohu-bohu externe n’est pas la vraie vie ; leur code intérieur diffère du code social ; ils ne reconnaissent aucun gouvernement, sauf celui de leur conscience ; d’après eux l’idéal devrait seul nous diriger et non les hommes.

Ils cherchent à s’augmenter, à se réaliser, à doter l’humanité de caractères. Ce faisant ils pratiquent le véritable altruisme car ils donnent aux autres un exemple : ils leur montrent comment ils doivent s’y prendre pour vivre une vie supérieure.

Dans leurs conversations, dans leurs écrits, ils dénoncent le mensonge qui s’insinue partout ; ils préconisent la recherche de la vérité et voudraient que personne ne s’humilie plus, ne s’avilisse plus : « Redressez-vous, clament-ils, vous ne voyez donc pas que la Société cherche à étouffer en vous vos plus nobles aspirations, qu’elle vous diminue, vous annihile, fait de vous des êtres amorphes incapables de poursuivre un but élevé ? Elle vous courbe sous des besognes abjectes. Vous n’êtes plus que les boulons de la gigantesque machine sociale »

Ils ont raison : la Société nivelle les individus pour qu’aucun ne dépasse ; elle considère l’originalité comme un crime et réserve sa prédilection pour la mentalité grégaire qui accepte le mensonge ; regimber contre celui-ci c’est s’insurger contre la Société.

Mais les excentriques ne sont pas des révolutionnaires : ils savent que la violence populaire bouleverse tout sans apporter aucune amélioration ; qu’elle se contente de renverser les dirigeants au pouvoir et ne s’oppose pas à ce que d’autres prennent immédiatement leur place.

Ils ne voient en la politique qu’une nauséabonde futilité appelée à disparaître avec toutes les duperies.

Ils rêvent simplement de temps meilleurs.

Ils rêvent les excentriques !

Pour feuilleter le début du livre sur PDF...

La préface en italien...

Retrouvez aussi les autres livres :

couverture du livre sur Jossoot couverture du Foetus récalcitrant

Flèche retour