Caricatures de presse

Voici quelques images représentatives du style et de l'humour de Jossot (les légendes apparaissent dans les info-bulles, il suffit de cliquer dessus pour voir les références exactes en fin de page. Si les bulles sont tronquées, il est possible de télécharger un module complémentaire de Fire-fox. Cliquez ensuite sur la flèche retour de votre navigateur pour revenir à l'image)

La Butte, n° 15, 1893

Jossot insiste volontiers sur le caractère inné de son talent, mais il débute très modestement, vers 1886, dans des petites revues dijonnaises, puis montmartroises, comme La Butte. Ni son style ni son humour ne le distinguent alors d'une abondante production de dessins de moeurs.

L'Ymagier, n° 3, 1895

En 1894, Jossot est un artiste débutant qui fréquente les milieux symbolistes parisiens. En parodiant ses aînés les plus avant-gardistes, Puvis de Chavannes, Carrière, Gauguin ou Émile Bernard, il élabore un nouveau graphisme où le cerne se contorsionne étrangement. Comme les Nabis dont il moque ici l'un des sujets favoris, Jossot publie dans des revues artistiques très soignées : L'Ymagier, l'Epreuve ou l'Estampe et l'affiche. Il reprendra cette composition dans une toile satirique !

Le Rire, n° 65, 1896

Le trait de Jossot, qui devient plus gras vers 1896, gagne en puissance visuelle. Il comprime et attise des aplats de couleurs vives, avec un parti pris décoratif dont toute une génération de peintres fauves saura s'inspirer.

Les Tapinophages, L'Assiette au beurre, n° 18, 1er août 1901

Comme de nombreux artistes avant-gardistes de cette époque, Jossot ne cache pas sa sympathie pour une certaine forme d'anarchisme et clame son mépris d'esthète pour la « médiocratie » et le pouvoir de l'argent.

La Graine, L'Assiette au beurre, n° 178, 27 août 1904

Le numéro de l'Assiette au beurre auquel ce dessin appartient, est ironiquement dédicacé : « à mon vieux compatriote Piot ». Edmé Piot est sénateur de la Côte-d'Or, région d'origine de Jossot. Il est aussi célèbre pour sa politique d'incitation à la natalité. Comme de nombreux socialistes et libre-penseurs, le dessinateur milite ici pour le contrôle des naissances, tout en exprimant une révolte d'ordre philosophique contre la condition humaine.

Circulez !, L'Assiette au beurre, n° 150, 13 février 1904
« La Charge », Gravure sur bois, 1893, 200 x 260 mm. Crîmes et châtiments, L'Assiette au beurre, n° 48, 1er mars 1902

Probablement inspiré par l'humour et le graphisme des bois de Vallotton réalisés en 1893 ou de ses dessins  parus dans L'Assiette au beurre et le Canard sauvage, les « Gardiens de la paix » s'attaquent à d'inoffensives victimes. En plaçant le spectateur à hauteur des victimes, Jossot joue davantage sur l'émotion et insiste sur la brutalité bestiale des répressions policières, tandis que la dénonciation de son collègue passe par un esthétisme froid et distancié.

Crâ, L'Assiette au beurre, n° 59, 17 mai 1902. Panurgisme, L'Assiette au beurre, n° 316, 20 avril 1907

La métaphore du troupeau et de la file indienne est particulièrement efficace pour dénoncer les comportements grégaires et l'absence de révolte individuelle parmi les hommes d'Eglise... comme chez ceux qui font profession d'anarchisme !

L'Action quotidienne, anticléricale, républicaine, socialiste, n° 4, 1903.

Cette image au cynisme savoureux, à la fois antimilitariste et anticléricale, est parue en avril 1903, dans l'Action quotidienne, anticléricale, républicaine et socialiste, organe de la libre-pensée militante. Vallotton s'en est peut-être inspiré dans le Canard sauvage où il fait allusion à la politique nataliste de E. Piot. Juan Gris reprend à son tour ce motif dans l'Assiette au beurre, mais pour prêter aux révolutionnaires turques les néfastes ambitions expansionnistes des Européens.

Le Progrès civique, n° 145, 1922

Contrairement à la plupart des artistes, Jossot n'abandonne pas ses convictions pacifistes durant la Première Guerre mondiale. Dans cette caricature parue en 1922, il ne fait preuve d'aucune compassion pour les mutilés de guerre. En allant au front, ceux-ci n'ont pas su faire preuve de révolte individuelle et d'indépendance.

Albums

Artistes et bourgeois, le premier des trois albums de Jossot, a véritablement fait sortir son nom de l'anonymat en 1894. Il décrit un monde d'artistes prétentieux et de bourgeois mesquins et normatifs. Il est suivi de Sales Gueules !, titre refusé par les éditeurs : l'album sera divisé en deux volumes chez Ollendorf, en 1896, intitulés Mince de trognes ! et Pochetées, puis repris en un seul volume par G. Hazard, en 1897. Il regroupe une cinquantaine de dessins sans thème précis. Les Rats est un poème de Heinrich Heine illustré par Jossot et traduit par Emile Strauss en 1899, à la demande du libraire et éditeur Eugène Rey. Femelle ! est paru en 1901, pour se moquer des femmes en général et surtout des bas-bleus.

Artiste et Bourgeois, Paris, éd. G. Boudet, 1894 Artiste et Bourgeois, Paris, éd. G. Boudet, 1894 Artiste et Bourgeois, Paris, éd. G. Boudet, 1894

JOSSOT

Quand j'ai vu les curieuses et symboliques morsures de Jossot, j'ai eu le ressaut que l'on éprouve d'un choc imprévu. Je n'étais ni inquiet, ni surpris, je n'étais pas préparé. Mais l'entente ne m'en fut pas longue, car ses ironiques aquarelles si peu dans les gammes accoutumées, vous intéressent au plus haut point par un singulier et volontaire mélange notés en des arabesques indicatrices, et de trois ou quatre tons simples et plats, non relevés par l'accusé d'une ombre.

Et là dedans aucune réminiscence, ni d'Orient, ni de Japon. Non ! C'est uniquement le geste, la sensation qui se substitue à l'individu, qui lui ôte son humaine personnalité, et qui l'incorpore dans le décor, où il tient la place d'un accessoire animé. Les arabesques du trait sont les ondes rythmiques du mouvement, et vibrent pour le pauvre être dépossédé.

Le personnage de Jossot est enfermé dans des traits imaginaires dont, sans efforts nous trouvons la correspondance dans l'anatomie usuelle : il y a substitution d'une émanation intellectuelle, psychique, au centre régulier et connu. La forme est l'apparence normale, mais il apparaît un mécanisme, des rouages que nous ne soupçonnions pas. Il est amusant de voir un de ces bonshommes, vêtu complètement de vert, aux cheveux uniquement blancs, faire de la morale à son fils, rouge de la tête aux souliers en passant par les vêtements, le fond bleu avec des fleurs de lys bleu plus foncé, complète un ensemble chromatique très divertissant.

Cette simplification des teintes est néanmoins soulignée par les tons complémentaires du fond : il y a toujours harmonie entre son pointillé grenu de nuances variées, et les deux ou trois couleurs primordiales qui forment le motif principal de la composition.

Léon MAILLARD, 1894 [Extraits].

Artiste et Bourgeois, Paris, éd. G. Boudet, 1894 Artiste et Bourgeois, Paris, éd. G. Boudet, 1894 Artiste et Bourgeois, Paris, éd. G. Boudet, 1894

Jossot

Ironiques dessins aquarellés, ils requièrent l'attention par les subtiles correspondances de lignes, par l'habileté de l'artiste à indiquer tous les mouvements, toutes les impressions, tous les sursauts, au moyen de jolis trèfles groupés avec un délicieux parti-pris, découpés et amenuisés finement dans l'allure de chaque bonhomme, par la malicieuse disposition des tons imprévus s'enlevant sur des fonds grenés qui constituent un milieu d'existence ou d'habitation. [...]

Fidèle à son système, Jossot, invariablement, substitue à la vision de la défroque particulière de ses modèles, le geste déterminant, constitutif de chaque individu. Je m'explique [...]. Nous touchons au fonctionnement intime de la personnalité, dont les arabesques, ondes rythmiques d'icelle, s'inscrivent au moment même où nous les percevons. Et telle est la prestesse avec laquelle s'effectue le détournement de notre attention, que nous n'avons pas le loisir de constater le remplacement de l'image coutumière par l'apparence  que créée le subtile dessinateur. Pour éclairer mon pathos fumeux, ces lignes de Léon Maillard, lumineuses : « Chez Jossot, c'est la sensation qui se substitue à l'individu et l'incorpore dans le décor où il tient la place d'un accessoire animé : les arabesques du trait  sont les ondes du mouvement et vibrent pour le pauvre être dépossédé. »

La gaieté de la composition est encore soulignée par la simplicité, dirai-je primordiale, du coloris, et la fantaisie vagabonde des lignes [p]ures, avec l'ingénue fraîcheur chromatique, comme un Templier. C'est toujours avec un nouveau plaisir — ainsi que s'explique à l'ouverture de chaque session « Le vieil Allobroge » Pierre Blanc — que je considère un amateur vert-coupolard, et qui semble sculpté dans des épinards très cuits, béer devant un esthète jaune-Seraing (ville des canaries, ne l'oublions pas), Seraing, dis-je, des pariétaux aux ripatons, qui vaticine : « mon opus est l'idiosyncrasie synthétique des vésaniques et abscondes morbidesses de la moralité des contingences ». Et la contemplation ne saurait me lasser des aventureuses polychromies dont se rehausse la despotique Bourgeoise en soi, la Terrifiante enjoignant à l'infortunée Bonne-à-tout-souffrir de colliger les miettes chues sous la table, pour en chapelurer son macaroni du soir.

Dirai-je qu'insoucieux des notations d'actualité quotidienne dont le fugace intérêt ne procure à leurs confectionneurs qu'une gloire viagère, la caricature de Jossot dédaigne les contingences pour s'élever aux entités ?

Willy, 1894 [Extraits].

Couverture de la première édition, Pochetées, Paris, Ollendorf, 1896 Couverture de la seconde édition, Mince de trognes, Paris, G. Hazard, 1897
Couverture de la première édition, Mince de trognes, Paris, G. Hazard, 1897 affiche Sales gueules
Mince de trognes, Paris, G. Hazard, 1897 Mince de trognes, Paris, G. Hazard, 1897
Mince de trognes, Paris, G. Hazard, 1897

Sur Jossot dessinateur

M. Jossot a la patte lourde, très lourde ? C'est un justicier doublé d'un philosophe. Il remembre les éléphants de Salambô broyant les cuirasses ; tel ce bizarre artiste fait craquer les hypocrisies, les masques et martèle sur l'enclume de la pensée, le sujet hurlant. L'art des piqûres fines, douloureuses, insidieusement faites, lui défaille, il tape comme un sourd et fonce droit en vrai toro collante. Il ne faut pas chercher en M. Jossot un nuanciste. Tout d'un bloc, positif comme une équation, le quintessenciemment inconnu, il encastille ses sauvages volutes, ses cirres violateurs avec une verve outrageusement tahitienne de barbarie. La vue de ces dessins obsède comme un cauchemar d'âme, la schématisation développe à un degré d'acuité extrême le sens critique, les traits s'impriment sur la rétine et de là irrémédiablement en le cerveau [sic], par la trémulante sensation causée par l'exaltation de la Grimace. La Grimace, chez M. Jossot, c'est la photographie de l'Âme. A distendre les mouvements du corps, à étirer les muscles capricieusement disloqués de ses pantins, à stimuler les zygomatiques, il tire d'accidentelles liaisons de formes, d'essentielles et nécessaires vérités. En ses bonhommes élastiques l'artiste fait coexister le Rire avec une qualité contradictoire, en heurtant nos associations, il triomphe de notre diaphragme par le conflit des idées soulevées sous une forme inconsciente, mais ce n'est pas la joie, c'est l'hystérie du chatouillement et pour ce je titulerai M. Jossot : un triste.

Tempérament sensitif, susceptible à l'excès, M. Jossot par une misanthropie aggravée d'une douloureuse étape était mûr pour la description férocement ironiste d'un troupeau d'idiots malfaisants dénommé, Le Monde. Mais il se claustra trop en lui-même pour voir efficacement l'âme — si tant est qu'elle existe — du Mufle.

Si la plupart de ces dessins sont à l'eau-forte et creusent la chair, d'autres retardent. Telle la série des Bourgeois. [...] Ce mordant dessinateur ne possède pas le sens intégral de l'existence vivant trop sur le conventionnel, il ne sait briser le cadre des idées générales. Par là ses bourgeois sont psychologiquement étiques, nous eussions voulu le bourgeois français de 1897, c'est un bourgeois universel approprié à tous les besoins, formé d'un marqueterie de petits paradoxes. M. Jossot côtoie trop une doctrine sans la suivre en son entier et pénétrer son esprit, il s'arrête à la surface, en extrait ce qui lui plaît pour faire servir à ses passions.

La série des militaires est la mieux venue, tant au point de vue des types rapportés que de la répercussion morale.

M. Jossot, avec une franchise éclatante, révèle un panopticum d'humanités bouffies d'un orgueil démesuré, abruties par l'alcool et les maladies secrètes, jurant, sacrant, la tête aussi vide qu'une courge, des jeunes niais chamarrés de plumes, de quinquailles [sic], de passementeries. Evidemment M. Jossot, pour la représentation rétiniene [sic] a grossi le trait formidablement, mais il s'en dégage tout de même, un cruel fond de vérité. [...]

Par contre M. Jossot si audacieux en ses caricatures sociales paraît d'une singulière pusillanimité sur le terrain littéraire. A l'égard des poètes symbolistes ses tendances sont peu libérales, ses dessins sont des Louisphilippiques. La littérature qui se fait l'effare, on le sent craintif des monstres septentrionaux surgis des brumes (vous savez, les fameuses brumes !). Mais pardonnons à M. Jossot ces légères erreurs, qu'il reconnaîtra bientôt, et louangeons le fermement. [...]

Emile Straus, 1897 [Extraits].

Couverture pour l'album : Les Rats, poème de Heinrich Heine Dessin de l'album : Les Rats

Die Wanderratten, O wehe !
Sie sind schon in der Nähe,
Sie rücken heran, ich höre schon
Ihr Pfeifen, die Zahl ist Legion

Les Rats chemineaux, malheur !
Ils sont déjà proximes
Ils arrivent, jà j'entends
Leur fifres, leur nombre est légion.

O Wehe ! wir sind verhoren
Sie sind schon vor den Thoren !
Der Bürgermeister und Senat,
Sie schütteln die Köpfe, und keiner weiss Rath

Au secours! nous sommmes fichus !
Ils sont à nos portes.
Le burgmaistre et son Sénat
Hochent le chef ; nul n'y voit remède.

Die Bürgerschaft greift zu den Waffen
Die Glocken laüten die Pfaffen
Gefährdet ist das Palladium
Das sittlichen staats, das Eigenthum

Le bourgeois empoigne son flingot,
La curaille tinte ses clocques
En danger le Palladium
De ce vertueux état : Le Capital !

Femelles, Paris, Ollendorf, 1901 Femelles, Paris, Ollendorf, 1901

Femelles

MARTINE

Laissez moi à mon tour vous tirebouchoner en pied un portrait réaliste de Jossot et de ses oeuvres, Jossot, magnificateur sur nos murs des sardines de Nantes, sardines nouvelles.

Il vous z'a une tête de reiter sur un corps de landsquenecht, il est carré du thorax et trapu de la base, sa barbe cuivrée de Tiepolo ou Bronzino, gire, vire et irre en replis sinueux, sa chevelure se gite sous un tube de parpaillot. Vous avez dit avec justesse et en cela je reconnais la sagacité de vos observations ; M. Jossot est un massif. Externement et internement, oui mais plus élégant serait dire un poids lourd libertaire ou un cent kilos sans-culotte. Un de ces lutteurs intombables, inceinturables, à dessus de malle féroce et tatoué au bras : A toi pour la vie. Et de fait c'est une « terreur », terreur des bourgeois, des ratapoils, des calotins et des femelles. Plus sabrophobe que M. Urbain Gohier de l'Aurore dans Mince de Trognes, plus caloticide que M. Laurent Tailhade, vitupérateur des prêtres flamidiens, dans +Croa (en parturition), plus anarchite [sic] que M. Ravachol en Les Rats (album que je recommande à votre judice et à votre goût épuré), plus gynophobe que MM. X et Y (des grands journaux parisiens) dans Femelle !

C'est un tombeur. Vrai Burgonde du Saint-Empire Romain-Germanique (né à Dijon, Côte-d'Or), il contemne la gouaille, les grobians et les mouches à privé. Avec son épée au fer-acut, il s'élance, Corneboeuf et Saint-Denys ! Vas-y Léon ! Son crayon se mue en le bracqmart de Jacquemart. Tue, tue, pas de quartier. Et pif, attrape galonné et paf, empoche borgeois et pif, paf, vli, vlan, kladeratatsch, scronieu et tonnerre de Brest (très célèbre), à droite, à gauche, tête, ventre, tripe, foie, estomac, à droite, à gauche, et je tape, et je t'assomme. C'est l'oriflant blanc dans la boutique de porcelaine, c'est une trique féroce, giclante et altérée. Gaudeamusons-nous donc tandis que juvénils nous sommes aux albums de Jossot l'énorme ! Ha, il n'a pas besoin comme M. J. L. Forain d'empletter ses légendes chez le couturier d'en face, il les parture énormes, volumineuses, abondantes ; il ne porte pas non plus comme ce doux communard un revolver.

[Straus], 1901[Extraits].

Références des images

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